Au joyeux drille

Steve ne comprenait pas tout ce que lui racontait Donovan.

Il a surtout retenu que Greenlaw était en relation avec les Gentilshommes de l'Air depuis quelques semaines pour proposer un partenariat, ou au moins une trêve entre eux et la Tela...

Mais les statuettes auraient dû être une petite affaire sans incident,  réalisée assez rapidement pour feindre l'ignorance quand les Pirates en auraient eu vent. Sauf que Steve a tout fait foirer !

- Et à cause de toi, j'ai dilapidé une somme pas possible pour régler le problème ? T'as une idée du prix que ta vie ET mes relations avec ces clowns m'ont coûté ? demanda Donovan à un Steve recroquevillé.
- Ben je sais pas.
- BEAUCOUP TROP ! Maintenant, je suis à sec ! Il faut re-remplir les caisses et VITE, si on veut rester à flots et pas être la risée de la Tela ! Merci Steve, alors là tu t'es surpassé !

Steve avait la tête d'un enfant en flagrant délit de vol de gateaux quand Greenlaw enfonça le clou :

- À PARTIR DE MAINTENANT ET JUSQU'À NOUVEL ORDRE, TU ES CONSIGNÉ ICI !!! Tu feras le videur de mon bar et tu ne ferras RIEN d'autre tant que j'ai pas changé d'avis. J'ai été clair ?

Steve hocha la tête avant de se faire escorter par 2 hommes de mains - partagé entre le sérieux du contexte et le ridicule de l'attitude de Steve - jusqu'à ses quartiers.

Donovan n'avait pas précisé à Steve qu'il a dû loué le Rising Emperor comme base d'opérations temporaires aux Gentilshommes de l'Air. Si la Tela l'apprenait, c'est lui qui se ferait enguirlandé. Mais le contrat était clair : ils logent ici mais feront tout pour ne pas l'ébruiter...

Fei suivait avec attention la discussion entre Ellen et le type a l'air de dandy d'un autre siècle. Accent français subtil et élégant, délibéré, vêtements de qualité mais grandiloquents, la crosse d'un antique pistolet à percussion dépassait de sous sa veste de brocart : un pirate de l'air si le moindre doute avait subsisté, et pas n'importe qui avec ça.

Quelque part dans une autre sale du bar, l'odieux voleur qui avait tenté de les déposséder d'un bien légitimement acquis semblait se prendre le savon de la décennie.
Un nouveau pirate fit irruption dans la pièce et chuchota quelques mots à l'oreille du vicomte qui tapota son dessous de main d'un air perplexe.

-Miss Nighteye, je pense que vous serez heureuse d'apprendre que votre ami, Stanislas Briskle, est en bonne santé et maintenant entre nos mains bienveillantes. Cependant...

Le pirate ouvrit les bras largement dans un geste d'impuissance contrite.

-...il n'est pas nécessaire que je vous explique pourquoi la discordance entre votre version et celle de ce brave Stanislas me met dans une situation, comment dirais-je, inconfortable ?
-Stanislas... répondit Fei après une seconde d'un silence pesant. Stanislas, c'est un faux-cul qui joue double-jeu.

Il avait jeté son mensonge très vite avant d'avoir le temps de réfléchir aux conséquences s'il se faisait griller. Après tout, c'est Ellen qui avait commencé à bluffer, il ne faisait que suivre ses suggestions tacites. Rien d'autre.

-Il était en affaires avec nous, on s'était mis d'accord, paiement, lieu de rencontre, tout ça en avance... Sauf que "ce brave Stanislas" a décidé de manger à tous les râteliers, et il a vendu ses statuettes à l'autre manchot aussi, il espérait récupérer l'argent deux fois, filer des faux et disparaître. Et maintenant il faut qu'il se sorte du guêpier dans lequel il est fourré et pas nous, pour être tranquille. Donc il nous enfonce.

Fei se tut finalement, laissa le temps à une goutte de sueur de glisser sournoisement le long de son épine dorsale, puis enfonça le clou final de son mensonge branlant :

-D'ailleurs, sans ça, comment est-ce qu'on aurait tous les trois su où et quand le retrouver ?

Ellen cilla rapidement. Elle n'avait dit que la stricte vérité sur le déroulé des conflits. Son seul mensonge tenait à la coïncidence de l'apparition de Fei à ses côtés, ce que ce foutu Stanislas n'avait aucun moyen de savoir. Elle eut soudainement bien moins pitié de lui en réalisant que, s'il les accusait de mentir, il tentait probablement de tirer son épingle du jeu d'une façon bien peu honorable. Après tout, il avait peut-être mérité ses mésaventures et même, peut-être, un petit croc-en-jambe bien placé si l'occasion se présentait. Heureusement, Fei s'engouffra immédiatement dans la brèche que ce sale petit escroc venait d'ouvrir de lui-même. Dire qu'un instant, elle avait envisagé de le payer en rajoutant un supplément pour ses peines.

- Je n'ai jamais caché être de la SAGE. Je suppose que le patron du bar a déjà dû vous prévenir que je l'avais annoncé haut et fort. Ce brave Stanislas a dû se sentir bien merdeux d'avoir vendu sans votre accord une statuette à une coterie aussi mal placée dans votre estime.

Elle secoua la tête, une moue dégoûtée non feinte sur le visage.

- J'admets que nous avons dû improviser, Fei et moi en voyant débarquer un inconnu près à se battre pour quelques pauvres statuettes qui ne valaient pas tant de conflits.

Très sérieuse, elle planta son regard dans celui d'Andrési et le soutint quelques instants. L'honneur de sa famille et, probablement une grande partie de leur collaboration future avec ces gentilhommes, reposait sur ces quelques instants.

- Vous me connaissez d'Andrési. Je n'aime pas les conflits. L'aventure, le challenge et le vol, bien sûr. Mais ce que je peux payer, je le paye. Je ne me serais jamais mise dans une posture qui me forçait à esquiver une table lancer vers ma tête si j'avais pu l'en empêcher. Quant à ce brave Stanislas, si j'avais voulu le voler, il n'en aurait jamais rien soupçonné. Vous connaissez mes talents, ils vous ont déjà été utiles.

Il ne lui restait qu'à prier pour que l'ancien flic de Fei oublie ces quelques mots. Elle lui jeta un regard en coin avant de sortir une bourse d'une poche de sa veste.

- Voici l'argent destiné à ce "brave" Stanislas et que je n'ai pu lui remettre. Il vous revient de droit.

Steve fut emmené dans le bureau de Donovan, occupé par un type que Steve ne reconnaissait pas, et les deux personnes avec qui il a semé la zizanie en ville.

- Alors c'est vous les nouveaux associés du patron ? Je dois vous remercier pour..., commença-t-il avant de reconnaitre la félis et le type qui lui avait servi d'amortisseur de chute de poulpe géant.

- TOI ! Où t'as planqué les statuettes, chat de gouttière ? Je suis pas très malin et j'ai bien vu ton sac disparaitre quand je t'ai coursé !

Steve voulu s'avancer davantage, mais les Gentilshommes présents dans le bureau lui bloquaient le passage. Steve n'allait pas embarrasser Greenlaw davantage, aussi se retint-il de continuer son approche.

- Oh, navré pour ton pare-brise, au fait. Et puis comment t'as fait d'un poulpe géant un taxi ?

Fei hocha la tête d'un air entendu en voyant Ellen reprendre son mensonge avec entrain... beaucoup d'entrain... tellement d'entrain en fait qu'il finit par la regarder en coin et hausser un sourcil devant l'expression de colère non feinte de la Félis. Sourcil qui entreprit l'ascension de son front en voyant la verve qu'elle déployait à l'encontre de Stanislas qui, définitivement, avait gagné sa journée.
Fei essaya de discrètement lui écraser le pied pour lui faire comprendre qu'il avait inventé toute cette histoire, mais ils étaient entourés de pirates et il n'avait guère de marge de manœuvre... Bordel ce n'était pas elle qu'il avait essayé de faire marcher !

-TOI ! fit soudain une voix qui interrompit Elly et le "Vicomte".

Fei sursauta en la reconnaissant instantanément : putain, le monde était vraiment petit, pas vrai ? L'ancien flic ouvrit la bouche pour expliquer en deux mots les taxi-poulpes, les élevages, les éducateurs céphalopodiens, les heures de formation et les tonnes de poissons qui y étaient passés sous forme de récompense, trop heureux qu'il était d'arrêter la vendetta qui était en train de se déclencher contre Stanislas Briskle, mais Andrési ne lui en laissa pas le temps :

-Hé bien, messieurs dames, cela faisait bien longtemps qu'il n'y avait pas eu autant d'animation dans notre petit quartier sans histoire de Port-Providence !

Il rit doucement à sa blague tout en empochant la bourse qu'Ellen avait déposé sur la table.

-Dois-je déduire que nous sommes libres de partir ? fit l'ancien flic en suivant ostensiblement du regard la bourse bien remplie qui disparaissait.

Un mince sourire se dessina sur son visage. Fei n'était pas particulièrement une tête brûlée, mais la journée avait été longue et sa patience commençait à franchement s'amenuiser, et comme cela lui arrivait parfois, son instinct de survie de battre de l'aile.

-Je n'aurais pas l'outrecuidance* de vous demander une compensation pour le divertissement fourni... mais... tout cela commence à faire beaucoup d'action pour des citoyens sans histoire tels que nous.

* En français dans le texte (NdT)